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Titel
Retour à la vie. L’accueil en Suisse romande d’anciennes déportées françaises de la Résistance (1945-1947)


Autor(en)
Monnier, Eric; Brigitte, Exchaquet-Monnier
Erschienen
Neuchâtel 2013: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
411 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Qui connaissait le sujet contenu dans le titre de cet ouvrage? Aucune étude approfondie ne lui avait été consacrée. C’est un travail de recherche méticuleux et considérable qu’ont entrepris les auteurs, Eric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier. Ils y ont été amenés par des circonstances familiales. Sans doute ce livre, qui est l’oeuvre d’historiens amateurs, présente-t-il des défauts de méthode. Ainsi, dans leur louable souci d’exhaustivité, les auteurs ont-ils quelque peu omis de hiérarchiser le flot d’informations, très souvent inédites, qu’ils apportent. Mais comme le dit à juste titre Marc Perrenoud dans sa préface, le couple a écrit un «livre essentiel». Celui-ci relate donc l’accueil en Suisse, pour des séjours de convalescence plus ou moins longs, de femmes résistantes françaises, ainsi que d’un certain nombre de Juives, les unes et les autres rescapées de Ravensbrück ou Bergen-Belsen.

Tout est parti d’une initiative de l’Association des déportées et internées de la Résistance (ADIR), à la tête de laquelle on trouve une femme remarquable, Geneviève de Gaulle Anthonioz (1920–2002), nièce du général, qui a connu ellemême l’enfer des camps. On la retrouvera plus tard, aux côtés d’autres anciennes victimes de la barbarie nazie, dans la dénonciation de la torture en Algérie et dans le mouvement de soutien à Djamila Bouhired. L’initiative d’accueillir des déportées en Suisse est relayée sur place par un certain nombre de bonnes volontés privées, avec le soutien du Don suisse (l’actuel Swissaid), une institution patronée par le Conseil fédéral qui avait aussi pour but de faire oublier l’attitude ambiguë de la Confédération pendant la guerre, comme le suggérait Jean-Claude Favez dans une étude consacrée à cette oeuvre d’entraide humanitaire.

La première partie du livre est consacrée aux neuf maisons d’accueil où ces déportées vont recouvrer la santé physique et, sinon la joie de vivre, du moins le goût à la vie. A côté d’inconnues, on y retrouve les noms de grandes résistantes, telle Thérèse Giraud, agente de liaison du colonel Gilles, alias Joseph Epstein. Ou Charlotte Delbo, auteure de Aucun de nous ne reviendra, l’un des livres majeurs sur la déportation. Ou encore l’ethnologue et future opposante à la guerre d’Algérie Germaine Tillion. A l’horreur des camps de concentration s’oppose une nature idyllique et la vision quasi paradisiaque d’une Suisse qui n’a pas connu l’enfer et où l’on trouve chocolat, crème fraîche et cigarettes… Des pages qui, à tort, pourraient paraître anecdotiques mais qui sont émouvantes sont consacrées au souci des anciennes déportées de se faire belles, de mettre du rouge à lèvres, ce qui choque parfois les populations locales! Il s’agit de revenir à l’humanité, après avoir été des Stücke dans les camps. On se rappelle la phrase de Himmler: «Elle vivront de la boue, elles deviendront de la boue.» Ces convalescentes – sur les plans physique et moral – reçoivent la visite de personnalités françaises, comme Henri Guillemin ou François Mauriac. Elles nouent aussi des contacts avec des Suisses, et surtout ceux qui se sont engagés contre le fascisme. Des journalistes, notamment féminines (Alice Rivaz, Simone Hauert, Colette Muret) rapportent aussi les souvenirs de ces déportées dans la presse suisse. On suit la vie quotidienne de ces femmes, connues ou anonymes, avec leurs joies, leurs rires, leurs flirts avec des Suisses (parfois suivis de mariages), mais aussi leurs nuits hantées par des souvenirs atroces et la vision de leurs trop nombreuses camarades qui ont péri dans les camps.

Au prix d’un long travail de recherche, les auteurs ont réussi à établir la liste de ces rescapées internées en Suisse. Ils ont rencontré douze survivantes (dans deux cas leur fille) et ont recueilli leurs témoignages bouleversants. C’est le récit de l’arrestation, fréquemment imputable à un traître ou un collabo, de sévices, parfois de tortures. Après l’interminable voyage dans des wagons à bestiaux, un épisode revient comme un leitmotiv: l’arrivée au camp au milieu des projecteurs, des hurlements des SS, des aboiements des chiens, l’effroi, l’humiliante mise à nu de ces femmes de tout âge, une véritable théâtralisation de l’horreur. Puis c’est la réalité des camps, certes bien connue par de nombreux récits: les baraquements surpeuplés, les appels interminables dans le froid, le sadisme des gardiennes, le typhus, la «sélection», les chambres à gaz. Parmi ces femmes, il y a des catholiques pratiquantes, des Juives, des communistes, de grandes bourgeoises et de modestes ouvrières. Après ces mois passés en Suisse, leurs vies se sépareront. Mais elles garderont entre elles des liens indéfectibles, cette solidarité née dans les camps et qui se perpétuera dans les réunions annuelles organisées par l’ADIR. Les rescapées pourront évoquer ces choses indicibles que les non déporté-e-s ont tant de difficulté à comprendre. Plusieurs d’entre elles ressentiront le besoin de témoigner dans les écoles, dans la presse, à la télévision, pour que l’on n’oublie pas. Il faut lire ce livre précis, émouvant et nécessaire.

Zitierweise:
Pierre Jeanneret: Rezension zu: Eric Monnier, Brigitte Exchaquet-Monnier, Retour à la vie. L’accueil en Suisse romande d’anciennes déportées françaises de la Résistance (1945–1947), Neuchâtel: Alphil, 2013. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 350-353.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 2, 2014, S. 350-353.

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